La Suisse exporte du matériel de guerre vers des pays dont les gouvernements commettent systématiquement des violations des droits humains. Les exportations d’armes de la Suisse ont massivement augmenté, passant de 743 millions pour toute l’année 2021 à 755 millions à fin septembre 2022. Les principaux pays destinataires du matériel de guerre de la Suisse sont, outre l’Allemagne et le Danemark, les États-Unis, le Botswana, le Qatar et l’Arabie saoudite.
Le 1er octobre 2021, le Parlement a adopté le contre-projet à l’initiative correctrice. À l’avenir, les livraisons d’armes aux pays en guerre civile et aux États qui violent gravement ou systématiquement les droits de l’homme seront interdites. Les exportations d’armes vers le Qatar et l’Arabie saoudite devraient donc pouvoir être empêchées à l’avenir.
Le SCI Suisse s’est toujours prononcé contre l’exportation d’armes et continuera à le faire. Nous ne pouvons pas, d’une part, nous tenir à l’écart des conflits armés internationaux en tant que pays neutre et, d’autre part, profiter des guerres en tant que producteurs et vendeurs d’armes. De plus, une étude du SECO a démontré que l’industrie de l’armement en Suisse est insignifiante sur le plan économique (0,3% de la valeur ajoutée).
L’année dernière, le débat sur l’assouplissement de l’interdiction d’exportation dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été relancé. Concrètement, il s’agissait de la transmission de munitions pour le char antiaérien Guépard par l’Allemagne et pour le char de grenadiers à roues Piranha par le Danemark. Lors de l’achat, les deux États ont garanti qu’ils ne transmettraient pas les munitions à d’autres États sans autorisation de la Suisse. Le Conseil fédéral a rejeté la demande le 3 juin 2022. Les milieux bourgeois autour du président du Centre Pfister s’engagent pour un assouplissement de ces dispositions. Concrètement, le président du PLR Thierry Burkhart souhaite que l’on n’exige plus des acheteurs une déclaration de non-réexportation. Les acheteurs d’armes produites en Suisse pourraient donc les revendre, selon les règles de leur propre législation en matière d’exportation d’armes. La Suisse n’aurait donc plus de responsabilité.
Deux arguments principaux sont avancés pour justifier cet assouplissement : premièrement l’Allemagne a menacé de ne plus acheter d’armes en Suisse à l’avenir si elle ne pouvait pas en disposer librement. Du point de vue du SCI Suisse, il s’agit d’une évolution souhaitable. L’importance économique globale de l’industrie de l’armement est faible et l’industrie métallurgique suisse pourra employer sans trop de problèmes les spécialistes qui développent et travaillent sur des machines de précision à de nouveaux postes plus pacifiques.
L’autre argument qui n’est pas toujours mentionné dans ce débat, mais qui est présent, est la solidarité avec un pays relativement petit qui défend sa souveraineté face à un agresseur puissant et qui doit mener une guerre qu’il n’a pas provoquée. Et par solidarité, on entend toujours que des personnes extérieures doivent participer à la lutte armée. Zelensky souhaite que l’OTAN déclare l’Ukraine comme zone d’exclusion aérienne et la préserve ainsi des bombardements et des tirs de missiles. Il veut ainsi protéger la population civile dans les villes et les infrastructures. C’est compréhensible, mais cela aurait pour conséquence que la guerre s’étende aux bases aériennes de l’OTAN en Pologne, en Allemagne, en République tchèque, etc. à partir desquelles ces missions sont menées. Dans ce domaine, les pays de l’OTAN n’ont pas encore franchi la ligne rouge de l’escalade. En revanche, ils ont massivement soutenu l’Ukraine par des livraisons d’armes au cours des années précédant l’invasion et continuent, en toute logique, à le faire. Dans une logique de guerre et d’alliance, cela est compréhensible. Bien que l’Ukraine ne soit pas membre de l’OTAN, une promesse faite à l’Ukraine et à la Géorgie en 2008 lors du sommet de l’OTAN est ainsi tenue : “Nous avons décidé aujourd’hui que ces deux pays doivent devenir membres de l’OTAN”. Il serait incompréhensible que les pays de l’OTAN ne soutiennent pas le futur membre en lui fournissant au moins des armes.
La Suisse n’est pas membre de l’OTAN et n’a fait aucune promesse de ce type à l’Ukraine ou à d’autres pays. Après l’effondrement des pays du bloc de l’Est et de l’Union soviétique, la Suisse a fourni une aide humanitaire et soutenu les États dans la mise en place de structures démocratiques. Le SCI Suisse s’y est également engagé dans le cadre de structures de la société civile et a encouragé l’échange international de volontaires et le travail pour la paix. Dans les conditions de la guerre, cela est devenu plus difficile, mais pas impossible. Pendant une guerre, il est malheureusement presqu’inévitable que la société se militarise. Les personnes qui tissent des réseaux d’entraide, maintiennent l’approvisionnement, soignent et prennent en charge les victimes sont d’autant plus importantes. Ce sont elles qui, après la guerre, posent les bases de la reconstruction. Si la Suisse officielle parvient à y contribuer, ce sera bien plus efficace que les 12’400 cartouches de munitions de 35 mm pour le char antiaérien Guépard.
En tant qu’initiatrice, la Suisse officielle a fait un premier pas important en organisant l’Ukraine Recovery Conference 2022 les 4 et 5 juillet à Lugano. Dans la déclaration de Lugano, les États participants (avant tout l’UE) s’engagent à soutenir l’Ukraine dans sa transition de l’aide d’urgence vers une reconstruction à long terme. En tant qu’initiatrice, la Suisse porte également une part de responsabilité pour que cette noble déclaration diplomatique ne reste pas lettre morte, mais se traduise par des projets concrets qui atteignent les personnes touchées par la guerre.
Ce que nous exposons ici à travers l’exemple actuel de l’Ukraine vaut également pour notre position générale sur la production et le commerce des armes : transformons les épées en socs de charrue !