Un comité a commencé une collecte de signatures pour l’initiative « Sauvegarder la neutralité suisse (initiative sur la neutralité) ». Les initiants veulent inscrire dans la Constitution ce que la neutralité suisse signifie. Dans leur proposition, la majeure partie des éléments relève de la tradition suisse de la neutralité (la Suisse est neutre, ne participe pas aux conflits entre pays tiers, honore ses engagements auprès de l’ONU et utilise sa neutralité pour promouvoir la paix à travers les « bons offices »). Le principal élément allant contre la pratique actuelle réside dans l’introduction d’une interdiction pour la Suisse d’appliquer des mesures coercitives non militaires contre les États belligérants, incluant par exemple les sanctions économiques.

Le Service Civil International (SCI) Suisse s’oppose à cette initiative. Pour nous, la neutralité suisse ne signifie pas être indifférent et se dédouaner de toute responsabilité au nom de la neutralité. Nous défendons la tradition d’une Suisse neutre qui ne participe pas militairement aux conflits entre États tiers et prodigue les bons offices qui soutiennent les initiatives diplomatiques et humanitaires cherchant à résoudre les conflits internationaux. Cependant, une Suisse militairement neutre doit pouvoir agir au travers de mesures coercitives non-violentes afin de condamner les actions contraires à ses valeurs et notamment celles contrevenant clairement au droit international. En se privant de la possibilité d’agir, la politique de paix de la Suisse perdrait de sa crédibilité. En effet, en refusant toute action lorsque le droit international est indiscutablement violé, la Suisse ne défend pas la paix. Elle envoie le message que les règles décidées entre les États n’ont pas d’importance et que leur non-respect n’a pas de conséquences. Certes, il ne faut pas tomber dans une reprise automatique de sanctions décidées à l’international lorsque celles-ci servent uniquement l’agenda politique d’une puissance étrangère, mais il faut pouvoir appliquer des sanctions lorsqu’un belligérant enfreint délibérément des principes fondamentaux que défend la Suisse telle que la souveraineté territoriale. Bien sûr, il existe la condamnation diplomatique au travers de communiqués ou autres prises de position, mais il est nécessaire de pouvoir dépasser le stade de la parole et de garder la possibilité d’agir lorsque la situation l’impose.

Le SCI défend la possibilité de recours aux sanctions, notamment économiques, mais soutient que celles-ci doivent être réfléchies et ciblées. Elles doivent atteindre les faiseurs et profiteurs de guerre, pas la population qui subit les coûts de la guerre en souffrant du gaspillage d’argent public dans des bombes, armes et munitions servant les desseins de dirigeants belliqueux alors qu’il pourrait nourrir, soigner et loger leur population. Les sanctions doivent viser les dirigeants responsables de la violation du droit international, les personnalités qui les soutiennent et défendent leur projet de mort, le complexe militaro-industriel qui rend ces atrocités possibles, en résumé, les responsables de la guerre et non la population en général. Il est malgré tout vrai que les sanctions peuvent malheureusement avoir un impact sur les populations civiles. Cependant, il ne faut pas oublier que ces dommages sont minimes en comparaison des conséquences d’une guerre qui se prolonge résultant en un nombre toujours croissant de soldats morts, blessés et traumatisés, de familles déchirées, déplacées et dépossédées et d’infrastructures détruites.

Dans son argumentaire, le comité d’initiative demande comment un pays soumis à des sanctions de la part de la Suisse pourrait considérer ce pays comme neutre, mais la vraie question est de savoir comment une population se faisant envahir, bombarder et tuer chez elle peut encore considérer la Suisse comme neutre ? Dans une telle situation, ne rien faire ne signifie plus être neutre, mais cautionner tacitement l’action de l’agresseur. Comment réagiraient les Suisses et Suissesses si notre pays se faisait envahir, nos concitoyens et concitoyennes tuer par une armée étrangère, mais que personne n’agissait contre l’envahisseur ? Serait-ce perçu comme de la neutralité ou comme un soutien implicite de l’agresseur ? Il apparaît évident que refuser d’agir est une prise de position non neutre, maintenir le « courant normal » ne sert alors que d’excuse aux milieux économiques pour profiter de la situation en cherchant à se déresponsabiliser. Il en résulte que l’image internationale de la Suisse est ternie à long terme. À titre d’exemple, le refus des sanctions contre le régime responsable de l’apartheid en Afrique du Sud est resté dans les mémoires et l’image de la Suisse en subit les conséquences, malgré l’utilisation de la neutralité comme justification.

Dans la construction de leur argumentaire, les initiants considèrent que « les peuples et les États sont violents et belliqueux par nature ». Cette fausse croyance sert avant tout les intérêts des faiseurs et profiteurs de guerre qui crient au loup et en profitent notamment par le développement de l’armement et des bénéfices générés par son industrie. Cependant, en 1986 déjà, dans le manifeste de Séville, de nombreux scientifiques réfutaient l’hypothèse de la violence humaine qui serait naturelle ou biologique. En ce qui concerne les États, il est également faux de dire qu’ils sont violents et belliqueux par nature. Comme le montrent les données sur les conflits de l’université d’Uppsala, les conflits interétatiques existent malheureusement encore mais sont rares. Au lieu de prétendre que les États et les peuples sont violents et belliqueux, il faut reconnaître que certains dirigeants déclenchent des guerres pour leur gloire personnelle avec le soutien et l’approbation du complexe militaro-industriel qui en bénéficie. Dans ces cas-là, il est nécessaire de pouvoir atteindre les responsables en leur imposant des sanctions afin de calmer leurs ardeurs. Malheureusement, il est impossible de garantir que les sanctions dissuaderont les dirigeants belliqueux. En revanche, il est certain que le refus inconditionnel et absolu de prendre quelque mesure que ce soit ne dissuadera jamais personne.

Le SCI Suisse s’oppose à l’initiative « Sauvegarder la neutralité suisse (initiative sur la neutralité) ». Nous défendons inconditionnellement la neutralité militaire dans les conflits entre pays tiers, l’exercice des bons offices et le soutien humanitaire aux victimes, mais refusons que la Suisse renonce à des mesures légitimes et non-violentes qui permettent d’influencer une partie belligérante lorsque celle-ci enfreint incontestablement le droit international et ses principes qui sont essentiels à l’existence et la survie de la Suisse telle que l’intégrité territoriale.

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